Portrait

Rendez-avec Christian Duperrier de Shoukâ

Pour notre portrait du mois, nous rencontrons Christian Duperrier, gérant de Shoukâ à Chamonix.

Bonjour Christian, pouvez-vous nous en dire plus sur vous et votre parcours ?

J’ai travaillé très longtemps dans la grande distribution ; j’ai même été propriétaire de magasins Super U en Bretagne pendant près de 20 ans. En 2017, après avoir revendu ces magasins, j’ai investi dans l’immobilier à Chamonix. C’est là que, avec ma femme Nathalie, j’ai eu l’envie de lancer un projet autour du café. Nous avons repris un local suffisamment grand pour y développer plusieurs activités : de la torréfaction et de l’extraction du café – du grain à la tasse – et également la fabrication de chocolat en mode « bean to bar ». Nous avons pu observer ce savoir-faire lors d’un séjour à New York. Ce projet central, situé dans le cœur de Chamonix, nous a permis d’ouvrir progressivement d’autres boutiques dans le même esprit, d’abord à Annecy puis à Lyon. Aujourd’hui, nous comptons quatre boutiques, la première ayant ouvert à Chamonix en 2021.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans la filière café ?

Pour moi, tout commence avec la matière première. J’ai toujours été attiré par les produits de terroir en France – que ce soit le vin, le fromage, etc. Mes études d’ingénieur en agroalimentaire m’ont aussi sensibilisé à la dimension industrielle du café. Ce qui m’a séduit, c’est que, malgré sa fabrication maîtrisée, la torréfaction de café évolue depuis plus de quinze ans vers des petites séries permettant de valoriser l’origine, le terroir et la diversité des modes de traitement. C’est la possibilité de mettre en avant une matière première sous différentes formes qui m’a particulièrement intéressé.

Pouvez-vous nous parler de Shoukâ ?

À l’origine, le local que nous avons repris s’appelait « le Choucas », en référence à l’oiseau, mais nous n’avons pas pu déposer cette marque. En cherchant, j’ai découvert l’orthographe « Shoukâ » en patois, que nous avons alors adoptée et déposée. Pour nous, cette marque incarne la nature, le terroir et la proximité. Notre ambition est d’inviter aussi bien les vacanciers de Chamonix que les habitants d’Annecy ou de Lyon à découvrir nos produits, en leur montrant l’ensemble de la chaîne de fabrication – du café et du cacao – dans un esprit de simplicité et de savoir-faire artisanal.

Comment choisissez-vous vos cafés ?

Nous proposons exclusivement du café de spécialité, avec une traçabilité totale : nous savons précisément d’où viennent nos grains, que ce soit d’une coopérative ou d’un producteur. En élaborant notre gamme, nous cherchons à offrir une diversité de profils gustatifs adaptés à divers modes d’extraction (espresso, machines automatiques, filtres classiques ou en filtration lente) et à un large éventail de prix. Bien que le café de spécialité soit généralement plus onéreux que le café de grande distribution, nous nous efforçons de rester accessibles, avec des prix débutant autour de six ou sept euros, tout en proposant également des produits plus complexes et qualitatifs. Notre objectif est de rester proches de nos clients et de ne pas créer de barrières d’exclusivité.

Quelles sont vos méthodes de torréfaction ?

Nous avons développé plusieurs profils de torréfaction – trois à quatre en tout – adaptés aux différents types de cafés que nous proposons. Pour un espresso, par exemple, nous optons pour une torréfaction un peu plus longue avec un temps de développement d’environ 18 %, tandis que pour des cafés destinés au filtre, nous réduisons le temps de développement afin de préserver l’acidité, la complexité et le côté fruité. Nous définissons un profil spécifique pour chaque type de café à l’aide d’un logiciel, ce qui nous permet de reproduire au mieux les caractéristiques attendues, même en travaillant sur de petites quantités. Cela nous donne la flexibilité nécessaire pour nous adapter aux variations d’un producteur à l’autre tout en garantissant une constance appréciable du produit final.

Pour vous, qu’est-ce qu’un bon café ?

Pour moi, un bon café est avant tout celui que l’on choisit et que l’on sait apprécier. Il ne s’agit pas de classer nos cafés en bons ou mauvais, mais de comprendre leurs caractéristiques – par exemple, un café avec du corps et une certaine complexité sera mieux adapté à une extraction pour espresso. Au-delà du goût, l’odeur, l’aspect et la connaissance de l’origine jouent un rôle essentiel. En somme, un bon café, c’est celui pour lequel on a une vision globale, un produit que l’on maîtrise et qui raconte une histoire, un peu comme pour un grand vin.

Ressentez-vous un intérêt grandissant des consommateurs pour le bon café ?

Absolument. Dans nos boutiques, nous constatons une curiosité grandissante. Les clients, qu’ils soient locaux ou en vacances, sont de plus en plus désireux de découvrir et de comprendre le café. Lorsqu’ils entrent et sentent l’odeur du café fraîchement moulu, cela suscite leur intérêt et les incite à toucher, regarder et même comparer avec les cafés en capsules, qui leur semblent moins authentiques. Même si nous ne disposons pas encore de statistiques précises, la multiplication des coffee shops et l’évolution des habitudes de consommation témoignent d’un déclic collectif.

Vous proposez également des visites. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous organisons des visites de notre manufacture de cacao ainsi que des explications sur la torréfaction. Nous proposons des ateliers dédiés au café de spécialité dans lesquels nous présentons les différents modes d’extraction et élargissons les connaissances des participants, sans forcément en faire des experts ou des baristas. Ces ateliers s’adressent aux amateurs curieux d’en apprendre davantage sur leur café.

Vous êtes également torréfacteur de chocolat. Voyez-vous des similitudes entre le chocolat et le café ?

Il existe des similitudes, même si le produit final est différent. Les deux produits sont intenses et leur origine est primordiale. Le café pousse en altitude alors que le cacaoyer se développe à des altitudes plus basses. Historiquement, ces deux marchés ont connu une industrialisation similaire avec une forte standardisation, ce qui tend à homogénéiser la matière première. Toutefois, dans le mouvement artisanal, il s’agit de mettre en avant la diversité des terroirs et des modes de fermentation. Pour nous, il est essentiel de valoriser la fève – qu’il s’agisse de café ou de cacao – en préservant l’authenticité du produit, plutôt que de se fier uniquement à une recette standardisée.

Est-ce important pour vous d’adopter des actions durables et respectueuses de la nature ?

Oui, nous travaillons exclusivement avec des produits naturels et nous faisons attention à la manière dont nous transformons ces matières premières. Nous ne nous limitons pas aux cafés bio, mais nous portons une attention particulière à la rémunération des producteurs et aux méthodes de fabrication. Pour nous, le respect de la matière première est essentiel, tant pour le consommateur que pour notre engagement en matière de durabilité.

Quel est votre meilleur souvenir lié au café ?

Il ne s’agit pas d’un souvenir unique, mais plutôt de l’expérience globale. Ce que j’apprécie particulièrement, c’est l’odeur du café fraîchement moulu, qui réveille tous les sens. Lors d’une formation à l’Académie du café à Genève, j’ai découvert à quel point le café regorgeait de potentiel, et cette immersion m’a confirmé que le monde du café est infini en découvertes.

Comment voyez-vous l’avenir pour Shoukâ, quels sont vos projets ?

L’avenir, pour moi, c’est avant tout le développement et l’affirmation de notre identité. Nous avons déjà accompli beaucoup de choses ces dernières années, mais aujourd’hui, je pense qu’il est essentiel de prendre le temps de se poser, d’évaluer où nous en sommes et d’envisager la transmission. À soixante ans, j’envisage de transmettre cette passion et cette vision à la prochaine génération, afin qu’ils puissent poursuivre et enrichir ce projet.

Le mot de la fin ?

Pour moi, c’est le bonheur et le plaisir autour du café de spécialité. J’ai à cœur de voir ce secteur continuer à se développer et à toucher de plus en plus de personnes curieuses et passionnées par la richesse de ce produit.

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