Portrait
Rendez-vous avec Arthur Audibert de l’Alchimiste
Pour notre portrait d’adhérent du mois, rendez-vous avec Arthur Audibert de l’Alchimiste.
Arthur Audibert est le fondateur de la torréfaction L’Alchimiste, à Bordeaux. Parmi les acteurs du café de spécialité de cette ville toujours plus connue pour son vin que pour ses torréfacteurs, Arthur fait figure de pionnier. En effet, il est le premier à se lancer dans la torréfaction de café de spécialité. Et 8 ans plus tard, l’ambition reste toujours la même : faire découvrir le café de spécialité aux Bordelais.
Bonjour Arthur, comment as-tu découvert le café de spécialité ?
C’est en voyageant que je me suis rendu compte qu’on buvait du bon café dans beaucoup de pays, mais pas en France. Je trouvais qu’il n’y avait pas pire que de terminer un bon repas par un café dégueulasse, ou pire, une capsule.
Aux États-Unis, j’ai pu visiter des torréfactions comme Blue Bottle. Ils m’ont impressionné dans leur façon de théâtraliser la torréfaction, avec ces grosses machines derrière les comptoirs. Et, plus j’ai creusé, plus je me suis rendu compte que le café était un produit noble. J’y ai vu une opportunité pour mes goûts personnels et une opportunité économique parce que ce marché était encore très peu développé.
Dès les débuts de L’Alchimiste, tu te diriges vers la torréfaction ?
Je me suis beaucoup posé la question de mon positionnement. Les coffee-shops avaient ce côté sympa, avec du contact client. Mais, je me suis rendu compte que je voulais être plus proche de la partie agricole du café. La transformation du café vert m’intriguait.
À l’époque, je vivais encore à Paris, et j’avais envie de bien travailler. Je suis allé voir Antoine Nétien, le fondateur de Coutume, qui a d’abord totalement refusé de me former. À force d’insister, il a compris que je ne lâcherai pas ! Il a fini par accepter et on faisait ça le soir. Je passais des nuits chez Coutume, rue de Babylone, à torréfier en buvant des bières et du vin avec Antoine.
Ton objectif était simplement de bien torréfier ?
Oui, parce que je voulais faire découvrir le café de spécialité aux Bordelais, et surtout transformer le mode de consommation des entreprises. Je venais de ce monde-là, et systématiquement je voyais la même chose : une grosse machine à café au rez-de-chaussée, celle qui sert aussi du jus de tomate et tout le monde avec sa machine à capsule dans le bureau.
Au départ, je suis allé voir mes potes, mon entourage. Je leur mettais une machine automatique De’Longhi, du grain et je les laissais voir. Quand c’est bien fait, c’est comme un bon vin ou une bonne bière, après avoir bu un bon café bien torréfié, tu ne retournes pas en arrière.
Avoir les meilleurs cafés ne t’a jamais intéressé ?
Si tu veux, nous, ce qu’on ne souhaite pas, c’est faire tout un tas de cupping juste pour ça, juste pour avoir les meilleurs cafés. On n’a jamais voulu avoir 25 cafés à la carte.
On essaie plutôt de créer des relations de long terme. On travaille avec certains producteurs depuis 6 ou 7 ans, avec la volonté de développer des projets.
Comme avec La Leona, en Colombie. C’est une super ferme familiale qui avait du mal à commercialiser ses cafés. Moi, j’ai trouvé ça bon, alors on a tout acheté pour qu’ils soient tranquilles et se concentrent sur la caféiculture. Maintenant, on travaille ensemble pour lancer des Bourbons, des Geishas, c’est une relation de proximité qui nous botte.
Pour cela, est-ce que tu leur rends visite régulièrement ?
Au début, je ne voyageais pas parce que j’étais seul et que je n’avais pas une thune. Maintenant, c’est différent. C’est important de voyager et je visite les fermes chaque année.
Un de mes premiers voyages, c’est le Salvador, chez Emilio Lopez. Mais, mon voyage le plus marquant, c’est l’Éthiopie. J’ai été subjugué par la beauté des paysages. Tu pars d’Addis-Abeba en 4×4, tu arrives dans une vallée aride, et puis en montant, tu vois la végétation luxuriante, tu arrives sur les hauts plateaux et c’est beau. La complexité que tu retrouves dans ces cafés, c’est aussi lié au terroir.
Qu’est-ce que ces voyages t’apportent avec tes clients ?
Souvent, on me parle du bio. Certains clients l’exigent, mais le bio ne suffit pas. Aller dans les pays producteurs, ça permet de prendre du recul sur ce genre de choses.
Une certification bio coûte 5000$ par an à un producteur. Certaines fermes ne peuvent pas se le permettre, mais si ce sont des cafés de forêts d’Éthiopie, où le café pousse naturellement sans intrants, c’est intrinsèquement bio. Voyager permet d’expliquer l’histoire derrière chacun de nos cafés, de faire prendre du recul à nos clients. Et puis, c’est pas la pire partie du job !
Est-ce que tes clients sont de plus en plus connaisseurs du café ?
Clairement, oui. C’est une évolution significative. Les consommateurs sont beaucoup plus vigilants à ce qu’ils achètent et le café en profite aussi.
Surtout, les clients s’aperçoivent qu’on a de grosses lacunes en France. C’est pour cette raison que l’on a mis en place des ateliers depuis quelques années chez l’Alchimiste, pour parler caféiculture.
Et, chaque mois, les sessions sont pleines, les participants s’aperçoivent qu’ils consomment chaque jour un produit qu’ils ne connaissent pas !
La pédagogie est-elle ce dont le café de spécialité en France a le plus besoin ?
C’est indispensable ! Il faut continuer d’expliquer pourquoi c’est différent, pourquoi les prix sont tels qu’ils sont, expliquer toutes les étapes de la vie d’un grain de café jusqu’à la tasse, et puis être transparent même sur la marge que l’on fait.
C’est important. On vit une période compliquée et le café en fait aussi partie. L’énergie coûte plus cher, le café coûte plus cher à produire, à transporter et être honnête joue en faveur du café de spécialité, pour que ça ne devienne pas une niche.
Tout ça se reflète dans notre gamme de prix, pour être accessible au plus grand nombre. On a eu longtemps un café d’entrée de gamme à 5 €, un café de spécialité juste un peu plus cher que ce qu’on trouve en grande surface. On n’a pas eu le choix que de l’augmenter, à 6€, mais il reste ultra-accessible pour du café de spécialité. Ça, pour moi, c’est très important : ne pas devenir élitiste.