Portrait
Rendez-vous avec Jean-François de Cafés Indien
Depuis 2010, Jean-François Torre fait découvrir le café de spécialité aux Niçois. Petit-fils et fils de torréfacteur, il perpétue la tradition familiale dans un monde qui évolue, entre consommateurs toujours plus avertis et public plus large à convertir, dans un contexte loin d’être évident.
Bonjour Jean-François, j’ai cru comprendre que tu venais d’une famille de torréfacteurs et faisais partie de la 3ème génération ?
Exactement ! Cafés Indien a été créé dans les années 20, et a été tenu par une même famille jusqu’en 1950. Ça a été racheté, jusqu’à ce que mon grand-père rachète l’établissement en 1975, rue Sainte-Réparate. Puis, il a ouvert une seconde boutique à proximité, rue Pairolière. Ma mère et mon père ont géré l’entreprise de 1990 jusqu’en 2010, quand j’ai pris moi-même la gérance.
C’est toi qui as apporté le café de spécialité chez Cafés Indien ?
Oui. Dans les années 70, on ne parlait pas de café de spécialité, loin de là. C’est même un produit qui est arrivé tard sur la Côte d’Azur. Mes parents ont commencé la vente des cafés bio. C’était toujours du café de commodité, mais avec le label biologique. Quand j’ai repris l’entreprise, je me suis formé avec Ludovic Maillard de la SCA, avec Ludovic Loizon chez BBS, ou des gens comme Vincent Ballot ou Veda de chez Ducasse.
Comment as-tu opéré le virage vers le café de spécialité ?
On ne prend pas un virage à 90 degrés. Avec la clientèle que je connaissais de mes parents, c’était impossible de proposer un café qui passe du simple au double en termes de prix. Il a fallu continuer à travailler avec le goût des gens qui vivent ici. Les gens de Nice aiment les cafés plutôt corsés, avec beaucoup de goût. J’ai commencé à travailler avec des importateurs plus responsables, avec le souci de bien torréfier, pour amener de nouvelles saveurs dans la tasse de nos clients. Et, petit à petit, même les anciennes générations, qui avaient du mal à boire des cafés plus acidulés au départ, se sont mises à me commander des V60 au goûter.
Quelle était ta vision en 2010 ?
Je voulais rendre le café accessible. Je voyais que les cafés de spécialité étaient vendus à des prix bien plus élevés que ce que l’on proposait. Chez nous, on commence avec un café de commodité, mais avec un bon sourcing. Ensuite, on propose des cafés de spécialité, avec des profils très légers pour les méthodes douces. Ma démarche, c’est que même avec un petit budget, on puisse rentrer dans une torréfaction et se faire plaisir. Ce qui fait perdurer notre activité, ce sont ces clients qui viennent depuis plusieurs décennies et ne connaissent pas forcément le café de spécialité. Ils sont aussi très importants pour notre profession, pour notre artisanat et pour les producteurs de bons cafés.
Dès la reprise en 2010, tu as voulu te mettre à torréfier ?
On s’est retrouvés au pied du mur avec la concurrence des capsules. Le métier de torréfacteur était complexe. Mais, des gens comme Christophe Servell ou Hippolyte Courty m’ont donné envie, par leur discours et par leurs actions, de continuer la tradition familiale. Quand mes parents ont pris leur retraite, je me suis mis au sourcing, j’ai acheté un nouveau torréfacteur, pour nos employés et les gens qui nous rendent visite dans la torréfaction.
Torréfier au milieu de tes clients, c’est important ?
Avant, on ne voyait pas les torréfacteurs. On se retrouvait à boire du café sans savoir qui l’avait transformé et de quelle façon. Avoir le torréfacteur dans l’une de nos boutiques permet de dévoiler notre artisanat. Et, pour ceux que ça intéresse, on fait des ateliers autour du café. Les gens se rendent compte que le petit grain marron foncé ou marron clair a toute une histoire. On est les dernières personnes à apporter notre touche personnelle pour mettre le grain en valeur.
Est-ce-que tu sens aussi un intérêt plus grand des clients pour le café ?
Oui, surtout avec la démocratisation des machines et des broyeurs automatiques. On a une clientèle bien plus large qu’il y a cinq ans. On a des clients qui ont vraiment du goût. J’ai des personnes qui ont maintenant entre 70, 80 ans qui me demandent du Nestor Lasso de chez Cata Export ou des cafés de chez Belco. C’est une satisfaction d’avoir fait évoluer ces personnes plus habituées à l’espresso à l’italienne.
Est-ce que cela rend le métier de torréfacteur plus simple qu’à tes débuts ?
Pour moi, il est devenu plus intéressant. On a des clients qui peuvent se rendre compte d’une erreur de torréfaction, d’un café sur ou sous-torréfié. On ne peut plus torréfier sans connaître les subtilités d’un café. Il faut se remettre en question tous les jours.
Au niveau économique, le contexte a aussi changé. Comment le vis-tu ?
Aujourd’hui, de nouvelles questions se posent. Quel est l’avenir du café ? Les torréfacteurs à gaz ont-ils un avenir ? Comment torréfier plus économique et écologique ? Pour le prix du café, on essaie de le répercuter au plus juste. Je préfère rogner la marge pour éviter les augmentations excessives. On sait très bien aujourd’hui que beaucoup de Français ont du mal à joindre les deux bouts. Ce que je souhaite, c’est que beaucoup, beaucoup de gens puissent venir chez nous, et que tout le monde trouve son compte.
Quel est ton conseil de préparation quand les gens rentrent chez eux, pour la 1ʳᵉ fois, avec un paquet de Cafés indien ?
Déjà, de bien utiliser leur machine ! Ils peuvent venir avec leur propre matériel à la boutique et faire les réglages avec nous. L’idée, c’est qu’ils partent avec les bases pour utiliser leur matériel. On leur explique que la température de l’eau est très importante, selon les cafés. Quand c’est pour une consommation filtre, on marque le bon ratio poids et quantité d’eau avec la bonne température, en fonction aussi de leurs contraintes personnelles. Ils doivent avoir les bons réflexes, dès le début !